L’autre carnaval : quand les marins français venaient risquer leur vie dans les eaux islandaises.

La semaine dernière, nous avons fêté Öskuðagur – le jour de cendres -, une fête typiquement islandaise et pourtant si familière ! Car l’Islande a aussi sa fête costumée, à la croisée des chemins entre notre carnaval, halloween et le mercredi des cendres. Ce jour-là, les enfants se déguisent et vont sonner aux portes des maisons et commerces pour chanter. Ils reçoivent en échange des bonbons et peuvent parfois lancer de la cendre en guise de farce sur leurs hôtes. Les minis Puffins étaient évidemment de nouveau surexcités cette année de partir à l’école parés de leur plus beau costume confectionné avec amour par leur Yaya, même si avec les 50 cms de neige que nous avons actuellement, il a fallu jongler entre les combinaisons, les accessoires chauds et les costumes toute la journée. Mais les mots « carnaval » et « Islande » revêtent une signification moins légère dans certaines régions de France d’où partaient les bateaux de pêcheurs qui risquaient leur vie lors de missions périlleuses dans les eaux islandaises. Craintes car souvent meurtrières, ces expéditions sont encore aujourd’hui présentes dans les mémoires collectives de ces cantons qui les commémorent chaque année, notamment lors du carnaval. C’est donc le moment de ne pas oublier ce lien – un des premiers – qui lie historiquement la France et l’Islande, et de raconter leur histoire.

Et cette histoire justement remonte au Moyen-Âge, au début du XVe siècle plus précisément, lorsque les marins Basques, les premiers à s’aventurer dans les eaux islandaises attirés par la richesse des mers arctiques, débarquent dans des ports de l’Ouest de l’île comme Grundarfjörður sur la péninsule de Snæfellsnes. Au fil des années, des liens étroits vont se tisser avec leurs hôtes, balbutiements d’une relation naissante entre les deux communautés, comme en témoigne la rédaction d’un lexique français-islandais comptant tout de même 800 mots environ, fait assez rare à l’époque – nous sommes au début du XVe siècle, rappelons-nous – pour être souligné ! Mais ce commerce est stoppé en plein élan en 1602 par le roi du Danemark, Christian IV, qui interdit toute pêche par les navires battant pavillon étrangers – rappelons que l’Islande était sous domination Danoise jusqu’à sa déclaration d’indépendance en 1944 – dans ces eaux poissonneuses. Et cette interdiction dura tout de même 150 ans !

Carte d’Islande des années 1600

Les bateaux français ne repartirent donc à la pêche à la baleine et à la morue qu’au milieu du 18e siècle, avec une période faste comprise entre 1830 et 1930 et tout particulièrement entre la fin du 19e siècle et le début de la première guerre mondiale. Mais cette fois-ci, les ports de destination, outre la capitale Reykjavík, se situent principalement à l’Est de l’île et au Sud dans une moindre mesure. Parmi eux, le petit village isolé dans les fjords de l’Est de Fáskrúðsfjörður ou Búdir – c’est vachement plus simple à prononcer comme ça, hein ? – reste encore aujourd’hui le symbole de ce lien France-Islande. S’il compte de nos jours 600 habitants, il a accueilli jusqu’à 5000 marins français lors des grandes saisons de pêche. Jumelé à la ville de Graveline dans le Nord d’où sont partis de nombreux navires, les nom des rues y sont encore indiqués en islandais et en français et 49 marins français reposent toujours dans le cimetière communal. C’est pour cela que chaque année, au mois de Juillet, l’ambassade de France y organise le Festival des Journées Françaises de Fáskrúðsfjörður ou « Franskir dagar » pour les islandophone.

Fáskrúðsfjörður, village de pêcheurs français en Islande en 1911

Malheureusement, et malgré les promesses dorées de ces expéditions, ces missions de pêches ont laissé un souvenir douloureux parmi les populations côtières. Partis des Flandres, du Nord, de Normandie, de Bretagne et de la côte atlantique, près de 4000 marins français périrent au cours d’effroyables naufrages dans les eaux de l’ « île d’enfer », comme ils la surnommaient. À l’époque, ces hommes à la recherche d’un meilleur niveau de vie embarquaient pour des campagnes longues – environ 7 mois de février-mars jusqu’en septembre -, la peur au ventre en laissant femmes et enfants pour lesquels une longue attente angoissée commençait comme en témoignent les « rochers de la veuve » où les femmes venaient guetter le retour des navires.

Et c’est là que naît le lien improbable avec le carnaval. Ces campagnes étaient tellement redoutées que pour éviter qu’elles ne s’enfuient, les patrons de pêches confisquaient leurs vêtements aux nouvelles recrues quelques jours avant le départ. Ces derniers se voyaient donc contraints de porter ce qu’ils trouvaient – les vêtements de leurs femmes entre autres – pour faire la fête avec les autres avant le grand départ. Ces étranges tenues vestimentaires ainsi que les jours de fêtes qui précédaient l’embarquement des équipages pour un voyage parfois sans retour sont à l’origine des commémorations spéciales faites à ces marins chaque année, à Dunkerque notamment lors du carnaval, dans un moment d’émotion unique que seuls les souvenirs encore vivants peuvent créer.

Blog Islande – La fête de la bande des pêcheurs avant le départ pour l Islande à Dunkerque

Mais une fois la fête terminée et les équipages partis, à bord, les conditions de vie sont très difficiles : les eaux sont dangereuses, les bateaux mal conçus pour ces conditions de navigation particulières et les tempêtes fréquentes. Les hommes doivent apprendre à supporter l’humidité, le froid, les journées de travail sans fin et le manque d’hygiène et de nourriture correcte qui favorisent l’apparition des maladies. L’alcool les aide à tenir… mais fait des ravages également.

Goélette pour la pêche en Islande

Ils ne connaissent qu’une seule trêve durant ces longs mois : mi-mai, les bateaux accostaient pour qu’un navire venu de France, « le chasseur », récupère les fruits de la première partie de pêche. Les marins profitaient alors d’un court répit sur la terre ferme où ils tentaient de se ravitailler en nourriture certes, mais également en vêtements chauds. Des affinités se nouent lors des échanges et c’est ici que l’on retrouve par exemple l’origine du mot pull en islandais « peysu » dont la prononciation est très proche de notre mot « paysan ». Pourquoi ? Parce que les marins dans leur recherche désespérée de vêtements pour se réchauffer tentaient de se faire comprendre en montrant les pulls sur leurs hôtes locaux qu’ils appelaient « paysans » après les avoir observés dans leurs tâches quotidiennes bien souvent liées au travail de la terre, comme dans beaucoup de campagnes à cette époque.

Au fil des années, leurs conditions de travail se sont tout de même améliorées avec notamment la fabrication de bateaux plus adaptés aux conditions maritimes islandaises ou encore la création de structures médicales spécialisées. C’est ainsi qu’un hôpital français fut créé en 1903 à Fáskrúðsfjörður, avec des soignants francophones pour s’occuper des marins français que personne ne comprenaient, même s’il soignait indifféremment islandais et français bien entendu. Son activité a cessé à la fin des campagnes de pêche au milieu du XXe siècle mais il a bénéficié récemment d’une rénovation afin de sauvegarder ce patrimoine, témoin de cette époque et de cette histoire.

Malgré tout, ces expéditions à hauts risques ont laissé des traces de part et d’autres de l’océan, dans les mémoires collectives des ports de départ en France et de quelques villages côtiers islandais. Il vous suffit de vous y balader pour en être témoins vous aussi. Sachez ainsi que les « quai des islandais » ou autre « rue des islandais » dans les ports basques, bretons ou normands, portent ce nom en hommage à ces marins que l’on désignaient par leur destination tant elle était chargée de signification. L’imaginaire collectif et l’art populaire de ces régions restent eux aussi marqués. Pensez à la chanson « La Paimpolaise » de Théodore Botrel, au roman de Pierre Loti « Pêcheurs d’Islande« , ou encore aux lithographies « Les drames de la mer » de Paul Gauguin qui illustrent la « pêche à l’Islande » comme on l’appelait. De l’autre côté de la mer, en Islande, quelques ports conservent des plaques ou tombes de marins français disparus sur leurs côtes, et certains hissent même encore parfois le drapeau français le 14 juillet.  À Fáskrúðsfjörður, vous pourrez observer couler un ruisseau parsemé de pierres gravées au nom des navires français échoués ou disparus. Quant au cimetière de Reykjavík, vous y trouverez une stèle commémorative où est inscrite, en français et en islandais un passage du livre de Pierre Loti « Pêcheurs d’Islande » : « Il ne revint jamais. Une nuit d’août, là-bas, au large de la sombre Islande, au milieu d’un grand bruit de fureur, avaient été célébrées ses noces avec la mer. »

Plaque à la mémoire des marins français morts en Islande

Évidemment, ce n’est pas l’histoire la plus gaie que je vous ai racontée sur ce blog. Mais c’est ainsi que Français et Islandais se sont rencontrés et c’est cette histoire dont la mémoire perdure dans les coeurs, d’une rive à l’autre. Cela étant, ce sont là de très bonnes idées de ballades pour la Famille Puffin avec le retour des beaux jours – car pour le coup, on en a connu des tempêtes cette année, même si les technologies modernes permettent désormais aux marins de sécuriser leurs sorties -. Promis, on vous racontera tout ça et on postera de nouvelles photos, ici ou sur notre page Facebook !

Putain d’Islande

Depuis trois jours, t’es déguisé, t’es maquillé et t’as picolé
Te v’là à c’t’heure, su’l’point d’parti’
Cap sur l’islande
Mort aux flétans !

Tu vas laisser, femmes et enfants,
Et p’t’ête mourir, là bas su’les bancs
Pou’des morues ou des z’harengs
Va ! dans la bande, pense qu’au présent

 

 


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18 réflexions sur “L’autre carnaval : quand les marins français venaient risquer leur vie dans les eaux islandaises.

  1. Je crois d’ailleurs qu’il y a des rues à St Malo qui porte des noms du nord pour commémorer ce bout d’histoire commune. 🙂

  2. Article tres instructif et historique et c est vraiment interessant de voir que les relations entre la France et l Islande datent de plusieurs siecles.

    Il me semble qu il y a aussi une exposition au port de Reykjavik et on peut y voir tous les naufrages des 3 derniers siecles avec l emplacement suppose, le type de bateau, l annee du naufrage en Islande et la nationalite du bateau. De memoire, les islandais, dannois, norvegien et anglais sont sur-representes au fond des mers. Les fonds marrins doivent etre jonches d epaves.

    A bientot sur votre blog

    • Ahhh, vous êtes déjà venu faire un tour par ici 😉

      Oui en effet, il y a bien des panneaux avec toutes ces informations, par siècle, sur le port de Reykjavik ! Et pour ce qui est des nationalités, l’Islande ainsi que le Danemark et la Norvège, civilisations partenaires privilégiées historiques (c’est de là que sont arrivés ceux qui sont aujourd’hui devenus les Islandais) en trio de tête, cela semble cohérent.

      Merci pour ces informations… et à bientôt !

  3. La pêche, que ce soit en Islande ou ailleurs, ça reste un métier difficile et dangereux ! Même de nos jours. Mon ancien boss, qui avait été marin avant de devenir fermier en Islande, m’a par exemple parlé d’une tempête durant laquelle ils ont perdu 2 bateaux. Il habitait aux Westmann Islands, 2 bateaux sur 8000 habitants (en majorités des familles de pêcheurs) : ce fut une catastrophe sociale quand une soixantaine de femmes perdent leur époux, et bien plus d’orphelins… En plus là bas, ils se connaissent tous et ils ont tous perdu un frère ou un collègues. Cela fait réfléchir… Alors j’imagine même pas nos marins français (la mer c’est toute la culture viking !), avec des bateaux pas adaptés, sans la technologie d’aujourd’hui, et sans pull et vêtement en laine correct sur le dos…!

  4. Et bien voilà une partie de l’histoire franco-islandaise que nous ne connaissions pas. Cela nous donne envie d’aller à la recherche de traces de ce passé dans nos villes du Nord.
    Nous avons été particulièrement surpris par l’épisode des hommes habillés avec les vêtements de leurs femmes !
    Merci de nous avoir fait découvrir ces épopées …

    • Nous aussi… mais nous avons entendu parler des pêcheurs français dès notre première visite en Islande : c’est vraiment une des premières chose dont les islandais, pour qui la pêche est très importante, parlent aux français pour établir un lien.

      Par contre effectivement, nous avons découvert tout récemment et par hasard cet épisode sur le carnaval… et ça nous a pas mal interpelé : il fallait quand même que ça ai été important pour marquer les inconscients collectifs au point que les commémorations perdurent encore aujourd’hui !

      N’hésitez pas à nous donner des nouvelles de vos ballades dans les ports français… ça sera sympa en échos aux billets que nous posterons suite à nos visites dans les fjords et sur les côtes islandaises 🙂

  5. merci pour cette belle histoire franco-islandaise..un pays qui me fascine de plus en plus avec ses sources chaudes, ses volcans capables de bloquer l’europe 😉 et ses supporters de foot les plus sympas du monde .. ca donne vraiment envie d’aller visiter ce beau pays 🙂 dans ma liste des voyages à faire ..c ‘est sûr .. donc à bientôt ..

    • Le décalage thermique risque d’être important avec le Maroc… mais le détour en vaut bien la chandelle 😉
      À bientôt !

  6. Merci pour cet article, j’ai appris plein de choses. Une triste histoire mais je ne connaissais pas du tout l’origine des relations entre l’Islande et la France. Au plaisir de vous relire !

  7. mon arrière grand père, et ses deux frères, à bord de leur goêlette LULU ZAZA armée à DUNKERQUE, ont disparu en mer lors de la fameuse tempête du 28 avril 1888 en ISLANDE. Ils sont commémorés sur un monument au cimetière de DUNKERQUE en compagnie des 163 marins disparus lors de cette tempête.

    • Difficile d’imaginer ce qu’ont réellement vécu tous ces hommes, ces marins, loin de chez eux dans des conditions si difficiles. On ne peut que deviner l’angoisse – et la douleur souvent – des familles, de votre famille, restées au pays.

      Savez-vous si leur équipage est également commémoré en Islande ? Nous avons prévu d’approfondir cette question en retournant sur les pas de ces marins ici, en terre australe… nous ferons particulièrement attention du coup aux signes mémoriaux dédiés au navire de vos ancêtres et à son équipage…

    • Oui d ailleurs j ai pu trouvé ceci sur internet :
      L’année 1888 fut particulièrement meurtrière pour les pêcheurs de Dunkerque.
      Une tempête aux alentours de l’Islande fit 165 disparus en mer cette année là.
      Ce ne sont pas cinq mais sept goélettes qui sont considérées comme perdues corps et biens par défaut de nouvelles. La “Friga” qui était dans les parages des Vestmann deux jours avant le cyclone, la “Jeanne” dont un navire a recueilli un baril de bière à l’endroit dit La Chapelle, au Sud-Ouest de l’île, la “Lulu-Zaza” rencontrée pour la dernière fois le 26 avril, “l’Ambitieuse”, la “Vaillante”, la “Sarcelle” et la “Dame Blanche”, toutes aperçues avant le 28 avril sur les lieux de pêche.

      Malheuresement pecheur est un metier difficile, encore plus en Islande et au XIXe siecle.

  8. Très intéressant cet article qui complète le peu d’informations que j’ai sur cette période de pêche en Islande. Y aurait-il des pistes afin d’obtenir des renseignements sur les navires et le nom des marins qui auraient péris dans les années 1790 à 1850 lors de naufrages, étant moi-même à la recherche d’ascendants marin-pêcheur embarqués à Gravelines durant cette période. Merci à qui pourra m’aider.

    • Bonjour et merci 🙂

      Pour plus d’informations, vous pouvez contacter la communauté « Frakkar á Íslandsmiðum » sur Facebook. Ils sont spécialisés dans les relations français-islandais et la mémoire de notre patrimoine commun.

      Bonne chance pour vos recherches ! Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans vos investigations.

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